L'artisan confiseur, Petit Poucet du secteur (1/2)

Les spécialités (ici, les Calissous) jouent la carte de la diversification sans s’éloigner des codes du produit original (calisson d’Aix).

Une analyse du marché de la confiserie en France amène à prendre rapidement conscience de la puissance et de l’omniprésence des grandes marques. Dans ce contexte, l’artisan confiseur a peu de chance de percer. Et si la donne venait à s’inverser ?

Les bonbons ont un petit truc en plus de très particulier : ils agissent comme de véritables “madeleines de Proust” qui réveillent en nous des souvenirs heureux et des émotions positives (associées souvent à l’enfance, au moins pour 59 % des Français*). En période de crise ou d’incertitude, ils jouent le rôle d’échappatoires anti-morosité, un (rou)doudou réconfortant et régressif. Les consommateurs déclarent d’ailleurs à 62 % que, “dans le contexte actuel, heureusement qu’il y a les confiseries pour décompresser et se faire plaisir”. Au-delà de cette valeur refuge, les sucreries sont aussi considérées comme un petit plaisir du quotidien (72 %), dont on ne saurait se priver (79 %) et qu’on aime faire découvrir à nos proches (82 %).

Les sucettes et bonbons en sucre cuit connaissent une embellie sur le marché. (© A. TANDEAU)

Pour que la magie opère, la réputation de la marque est la clé du succès, à condition d’être associée à une recette et à un logo immuables. Plus fort encore, la notoriété d’une confiserie reste le meilleur levier pour assurer le lancement d’innovations apparentées (comme la gamme Haribo) ou de génériques (marques de distributeurs, par exemple) qui font souvent mouche auprès des consommateurs... au moins pour un temps. Si certains produits deviennent cultes et traversent les décennies sans faiblir, le renouvellement des générations finit par faire tomber dans l’oubli des marques autrefois célèbres (qui se souvient des Mistral gagnant et coco boer du chanteur Renaud ?). Les innombrables best-sellers sont sans surprise des produits à forte notoriété (fraises Tagada Haribo, caramels Carambar, dragées M&M’S, arlequins Lutti, etc.), des génériques populaires (pâtes à mâcher, bonbons gélifiés ou dragéifiés, bonbons en sucre cuit, boules de gommes, etc.), des confiseries traditionnelles (fruits confits, pâtes de fruits, dragées, sucres d’orge, notamment) et des spécialités régionales (dont les bêtises de Cambrai, l’Anis de Flavigny, les bergamotes de Nancy).

La rafle des poids lourds sur le marché des confiseries

Avec un tel pouvoir hypnotique, les marques industrielles (dont la fabrication peut être artisanale) trônent en tête des ventes et progressent encore, sans que les services marketing n’aient besoin de se rappeler à notre bon souvenir. Après la crise sanitaire de 2020-2021, les ventes ont retrouvé en 2022 et 2023 leur vitesse de croisière ascensionnelle** (+ 16,7 %), avec une relance nette pour les sucettes et sucres d’orge (+ 19,3 %), les fruits confits (+ 11,5 %) et les marrons glacés (+ 9,7 %). Les Français sont aussi très nombreux (87 %) à estimer que “certaines sucreries font partie du terroir de la gastronomie française et doivent être préservées”*. Bref, la confiserie se porte plutôt très bien. Mais à qui profite-t-elle ?

Si les bonbons industriels/traditionnels et les spécialités régionales (200 références répertoriées dans l’Hexagone*) sont d’une diversité impressionnante, les sociétés qui les produisent en France sont paradoxalement fort peu nombreuses. La conséquence d’une logique de compétition et de concentration des géants de la chocolaterie-confiserie internationale (Mars Incorporated, Mondelez International, The Hershey Company, groupe Ferrero, Nestlé, etc.). Face à ces mastodontes, la société française Carambar & Co (holding CPK ou Carambar Poulain Krema, créée en 2017) résiste plutôt bien avec 24 % de part de marché en France**, notamment à la suite du rachat de Lutti qui lui a permis d’élargir son portefeuille de marques emblématiques (Carambar, Lutti, Krema, pastilles Vichy, Malabar, La Pie qui Chante, Michoko, rochers Suchard, notamment). Toutefois, l’Allemand Haribo, avec 43 % des ventes, garde toujours le leadership grâce à sa grande popularité et à son ancrage territorial (sur les sites de Gémenos et d'Uzès, dans le sud de la France).

Un fort potentiel marketing

Au delà de ces deux poids lourds, le marché est en réalité contrôlé à 90 % par moins de 50 entreprises fabricantes*, représentées par le Syndicat des confiseurs de France. Si les grandes entreprises et celles de taille intermédiaire (plus de 250 salariés) détiennent la plus grande part du gâteau, elles ne représentent pour autant que 6 % des confiseries fabricantes de plus de 10 salariés en France. Les entreprises de taille plus modeste (de 10 à 250 salariés) — Bonbons Barnier, Kubli, Confiserie Adam, Confiserie Pinson, Sucralliance, Confiserie du Nord, etc. — parviennent à tirer leur épingle du jeu avec un certain succès. En revanche, il ne reste guère de place pour les micro-confiseries individuelles ou de moins de 10 salariés, qui sont encore une poignée à se partager des spécialités locales ou des marchés de niche. Assimilé à celui de choco­latier et de biscuitier et représenté par la Confédération des chocolatiers et confiseurs de France, le métier d’artisan confiseur indépendant est en passe de tomber dans l’oubli. Qui s’en soucie ?

Pourtant, il y a encore un chemin aujourd’hui pour les artisans confiseurs qui veulent entreprendre. Reconnaissons d’abord qu’il n’existe aucun autre métier disposant d’un tel pouvoir d’enchantement ! C’est un atout commercial majeur, qui mérite d’être réexploité par les temps qui courent ! Sur le marché, il subsiste aussi, et surtout, un vaste territoire quasiment vierge de concurrence : celui de la confiserie responsable. Les consommateurs ont en effet conscience que les bonbons ordinaires n’ont aucun intérêt pour la santé et pour la planète (malgré les efforts importants des marques sur ces points). Ils sont aussi désireux d’entendre un autre discours, avec des engagements plus clairs et une manière de travailler radicalement différente.

Les artisans confiseurs ont un vaste territoire créatif à investir (ici, des créations de la Maison Constanti). (© A. TANDEAU)

L’imaginaire associé à l’enfance véhiculé par la marque n’est pas non plus la seule composante émotionnelle : le goût, l’originalité et l’effet de surprise peuvent très bien faire l’affaire. Le “plaisir de la gourmandise” (pour 64 % des Français), le “plaisir des sens” (pour 54 %) et “l’enchantement du quotidien” (pour 69 %) figurent aussi parmi les grandes motivations à l’achat*. Ainsi, plutôt que de chercher à copier les confiseries cultes qui ont pris nos souvenirs d’enfance en otage, ne serait-il pas préférable de faire voyager le consommateur en terres inconnues tout en lui donnant des repères (de forme, couleur, texture, goût, etc.) et des valeurs rassurantes (santé, naturalité, local, artisanal, par exemple) ? Un mot d’ordre : sortez du domaine réservé (et protégé) des grandes marques !

Une nouvelle génération plus portée sur le numérique

Il reste toutefois un gros frein pour entreprendre. La consommation de confiseries reste modeste, saisonnière et dépend fortement de la météo (comme les glaces) et des festivités (comme les chocolats). Elle suscite un regain d’intérêt en été (avec les fêtes familiales, notamment), devient frénétique au moment des fêtes (Noël, Pâques, Carnaval… et Halloween !), pour rapidement retomber dans l’oubli en périodes creuses (en dehors des goûters d’anniversaire).

Avec de tels aléas, difficile de monter un business plan solide. Sans compter les investissements massifs nécessaires pour se mettre aux normes (côté laboratoire) et favoriser une expérience client propice à l’achat d’impulsion (côté magasin). Le commerce de proximité traditionnel est clairement très difficile à rentabiliser avec des ventes aussi faibles et des charges aussi lourdes. Toutefois, les nouveaux modèles hybrides, qui fonctionnent sur le principe des dark kitchens (labos sans point de vente, adossés à des commandes exclusivement passées sur Internet) sont susceptibles de constituer un autre business model, bien plus porteur pour les artisans digital natives.

Avec la vente en ligne et les réseaux sociaux, la clientèle a l'opportunité de s’étendre sans fin, aussi bien localement qu’à l’international. À cet égard, la grande force de la confiserie réside dans sa longue durée de conservation, son absence de risque sanitaire et sa capacité à voyager. Ainsi, les frontières de la zone de chalandise disparaissent et l’artisan confiseur peut vivre de son travail toute l’année. Alors, on se lance ?

* Confiseurs de France. Les confiseries : un patrimoine gourmand et un savoir-faire français. 2022;1-65.

** Ventes de confiseries 2022-2023 — Institut Circana.

Lire le reste du dossier :

La Mallow a trouvé son chemin (2/2)

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